Est-ce la fin des projets professionnels et du savoir être ?
Anciennement CIP dans un ACI, Emilie est devenue formatrice SEVE Emploi et a cheminé sur deux notions très employées dans notre milieu professionnel : le projet professionnel et le savoir être. Elle vient nous éclairer et nous déculpabiliser.
Projet professionnel c’est une injonction que l’on apprend dès la formation de CIP, c’est omniprésent, c’est l’objectif principal des CIP : identifier le projet professionnel des personnes accompagnées, cela lance la dynamique d’accompagnement. C’est donc très ancré dans les pratiques.
Pourtant faut-il vraiment avoir un projet professionnel ? Combien de fois avez-vous défini un projet et réussi à vous y tenir ? Fait-on réellement le métier pour lequel on a été formé ? Cela dépend énormément du secteur et le lien est lâche dans des métiers à forte proportion de non qualifié. Comment avez-vous eu accès au poste que vous occupez ? Questionnez aussi autour de vous… il n’y a aucune homogénéité dans le processus d’accès à l’emploi, et pourtant on semble appliquer un seul processus pour les personnes qui sont éloignées de l’emploi : définir un projet professionnel, faire son CV et l’envoyer.
A l’accueil des personnes dans les structures, elles annoncent un projet professionnel précis. Voici un panel des métiers qui ressortent le plus (chez vous aussi non ?!) : préparateur de commandes, chauffeur livreur, employé libre-service, petite enfance : les personnes ont une réelle représentation figurative du métier (sans pour autant connaitre les réalités de ces métiers). Ces projets sont induits par tout l’accompagnement préalable et à l’injonction d’avoir un projet professionnel. Peut-on se projeter dans un métier que l’on ne connait pas ? Ces formulations sont donc très formatées, les personnes nous répondent pour faire plaisir ou bien avoir la paix… Lorsqu’on propose une offre captée qui correspond au projet annoncé, la personne refuse la MER et on se rend compte que ça ne correspond finalement pas aux attentes… On a perdu beaucoup de temps et d’énergie et ça crée de la frustration chez le.a CIP. Souvent les personnes recherchent simplement des conditions de travail plus qu’un métier : travailler dans une équipe plutôt sympa ; pas très loin de chez soi ; des horaires adaptés…
Dans le programme SEVE nous ne remettons pas en cause l’approche par projet professionnel. Il y a des personnes pour qui ce sera la pratique la plus adaptée et la plus efficace pour accéder à l’emploi durable. Mais pour d’autres c’est réducteur. Ça les enferme dans un projet qui n’en est pas vraiment un et ça les prive de toutes les opportunités qui pourraient se présenter sur d’autres activités.
Dans SEVE nous faisons le choix de proposer une approche par opportunités, qui complète l’approche par projet professionnel. Pour permettre à chaque personne accompagnée de pouvoir accéder à l’emploi durable par l’approche qui lui conviendra le mieux, nous parlons d’objectifs emploi plutôt que de projet professionnel.
« Chacun décide de ses objectifs emploi » il faut donc accorder aux personnes accompagnées le principe de pouvoir accepter ou refuser les offres proposées, sans aucun jugement de la part de l’équipe. Et pour cela l’équipe doit pouvoir proposer des offres qui ne sont pas toujours en lien avec un « projet pro » défini. Cette approche permet de créer des opportunités que les personnes peuvent saisir ou non. On ne sait jamais quand peut intervenir le déclic chez une personne.
Comment crée-t-on des opportunités alors ?
Pour cela l’équipe doit avoir la capacité à proposer diverses offres. La prospection à l’aveugle ça permet d’offrir des postes qui ne sont pas attendus par les personnes, et de découvrir des nouveaux postes. Exemple de métiers qui ont été découverts ces derniers mois :
- assembleur d’éléments enseignes lumineuses
- opérateur en vulcanisation
- réparateur trottinette électrique libre-service
A priori des métiers qui ne sont pas les plus plébiscités comme projet professionnel alors qu’ils ont certains attraits…
Ne faut-il pas privilégier uniquement la prospection ciblée (en fonction des projets pro et du temps dédié par l’équipe) ?
Il faut faire attention à ne pas enfermer les personnes dans un projet, c’est l’occasion de questionner la personne sur ses besoins / attentes, et pourquoi pas faire de la prospection ensemble ! La prospection à l’aveugle ça demande du temps, il est important de créer des nouveaux liens / partenaires et avoir le temps de l’entretenir. C’est à organiser ponctuellement et non systématiquement toutes les semaines, par exemple tous les deux mois environ… en fonction des appétences et compétences des permanent.e.s.
La prospection à l’aveugle ça peut aussi permettre de créer des nouveaux partenaires (clients / fournisseurs …), de mieux connaitre son environnement local et d’être mieux ancrer (et de faire parler de soi). L’intérêt de la prospection à l’aveugle c’est de créer des opportunités inattendues. Alors oui, on capte des offres, on propose les emplois, et personne ne souhaite postuler. Faire de la prospection à l’aveugle en plus grande quantité permet de capter de plus en plus d’offres d’emplois de qualité et donc d’avoir plus de chance que les personnes accompagnées candidatent.
Souvent quand on a deux refus d’une même personne, on a tendance à lâcher l’affaire et se dire que la personne ne cherche pas d’emploi, on a l’impression de perdre son temps. Nous conseillons de continuer à proposer à la personne des offres, ça lui permet de lui assurer que l’équipe est mobilisée pour elle, c’est un levier pour créer de la motivation à retrouver un emploi. En 2021, les SIAE SEVE ont captées 3851 offres, 1334 contrats durables ont été signés : en moyenne une personne signe un contrat au 3ème emploi proposé ! Il faut donc vraiment maintenir cette logique de proposition, en quantité et en qualité pour déclencher une sortie durable (cf article sur la roue de la réussite).
Concernant un autre terme qui enferme et qui jugeant c’est celui de « savoir être », c’est une traduction très malheureuse de « soft skill » (traduit littéralement par compétence douce – rien à voir avec l’être de l’être humain). Savoir être est très infantilisant et jugeant, si la personne « ne sait pas être », c’est donc une erreur d’éducation ?
La ponctualité par exemple est-elle vraiment nécessaire à toutes les prises de postes ? Ça dépend toujours du besoin du poste et du contexte de l’entreprise. Il y a des emplois ou c’est non négociable quand on est en 2×8, ou quand on accueille du public. Pour d’autres avoir 10 min de retard n’est pas une cause de licenciement… il peut y avoir certaines largesses. Il est donc important de ramener à la culture d’entreprise les compétences attendues (les attitudes, les réactions, les habitudes, la posture, la présentation, les modes de communication…) sur un poste. Toute personne qui intègre une équipe sera capable de s’adapter, si cette équipe fait preuve d’une volonté de l’intégrer, en l’informant de ses pratiques, de son fonctionnement, de ses habitudes, de son mode d’échanges, de ses usages relationnels ou de son style de communication.
C’est à l’équipe accueillante d’accompagner le nouveau salarié dans son poste pour s’adapter à la culture d’entreprise. Mais parfois l’équipe accueillante n’a ni cette conscience ni cette prise de recul, c’est donc les SIAE qui interviennent en tant que médiatrices. Elles permettent aux équipes et au salarié accompagné de prendre de la hauteur pour trouver des solutions qui faciliteront l’intégration, avant et pendant la prise de poste. Et si jamais vous avez besoin de remplacer la notion de savoir-être on vous propose « qualités professionnelles ». Les qualités vraiment recherchées sont : la curiosité, l’envie d’apprendre et de découvrir, l’engagement, l’envie de s’investir, mais tout ça est lié à la personne autant qu’à l’environnement qui l’accueille.
Alors pour cette nouvelle année, on vous invite à retirer ces deux expressions de votre dictionnaire pour donner plus d’opportunités aux personnes que vous accompagnez à retrouver le chemin de l’emploi.